5 affirmations fausses sur Guillaume le Conquérant

On a beaucoup écrit sur Guillaume le Conquérant, personnage historique de premier plan. Parmi les nombreux biographes du duc de Normandie, le lecteur doit se méfier des plus imaginatifs, qui ont brodé sur sa vie, et des plus pressés qui, au contraire, ont raccourci les faits. Voici quelques mises au point.

Guillaume le Conquérant réunit l’Angleterre à la Normandie

L’affirmation semble naturelle : en s’emparant de l’Angleterre en 1066, Guillaume le Conquérant annexe ce royaume à son duché de Normandie.

Non. Le nouveau roi ne cherche pas à unir les deux terres que la Manche sépare. Il se considère comme le prince de deux territoires distincts. En témoigne son sceau, d’un côté le montrant roi d’Angleterre, de l’autre le représentant duc de Normandie. L’Angleterre conserve ses institutions, par exemple les shérifs. Guillaume n’impose pas outre Manche le modèle administratif normand.

Sceau de Guillaume le Conquérant

Sceau de Guillaume le Conquérant. Sur une face, il est assis sur un trône en tant que roi d’Angleterre. Sur l’autre, il est représenté en cavalier et décrit comme « patron des Normands » (Internet Archive Book Images)

 

Guillaume le Conquérant soumit rapidement l’Angleterre

Avec quelle vitesse les événements se sont apparemment enchaînés : débarqué sur la côte méridionale de l’Angleterre le 18 septembre 1066, le duc de Normandie remporte la bataille d’Hastings le 14 octobre puis se fait couronner roi à Londres le 25 décembre. Il faut quatre petits mois pour que tombe le royaume anglo-saxon.

En vérité, lors du couronnement de Guillaume, la domination normande dépasse à peine la Tamise. Les earls du nord se sont soumis du bout des lèvres. De 1067 à 1072, une succession de révoltes secoue l’Angleterre. Peuple et aristocrates font cause commune, rejoints en 1069 et 1070 par des pillards danois. Guillaume se porte vers les foyers de rébellion mais à peine éteints, ils reprennent de plus belle. Si bien que la lassitude, voire le défaitisme, gagnent les occupants normands. Mais Guillaume est infatigable : il finit par soumettre les Anglais par la force, la terreur et la politique de la terre brûlée. Six ans sont nécessaires pour pacifier l’Angleterre.

Guillaume le Conquérant battait sa femme

Mathide de Flandres

Mathilde de Flandres, épouse de Guillaume le Conquérant. Une vision imaginaire du romantique XIXe siècle (Wikimedia Commons)

Dès le XIIIe siècle, des textes racontent les malheurs de Mathilde, la femme du Conquérant. Le récit le plus connu rappelle qu’au moment d’apprendre son mariage avec le duc de Normandie, Mathilde déclare refuser d’épouser « un bâtard ». Vexé, Guillaume s’introduit dans sa chambre, la jette à terre, la foule aux pieds jusqu’à ce qu’elle consente aux épousailles. Au XIXe siècle, des Caennais expliquent que la rue Froide à Caen s’appelle ainsi en raison du drame suivant. Un jour, Guillaume se fâche contre sa femme. Il attache les cheveux de son épouse à la queue d’un cheval et traîne sa femme dans la rue Froide sous yeux des Caennais qui regardent le spectacle… froidement. Ce n’est pas terminé. Une saga islandaise, la Heimskringla, rapporte aussi les violences du duc de Normandie à l’égard de sa femme : avant de partir pour l’Angleterre, il la frappe à coups d’éperon à tel point qu’il lui défonce la poitrine. Mathilde s’écroule morte. Que de violences !

L’historien Michel de Boüard considère ces divers récits comme des fables. Comment croire que Mathilde est battue à mort avant le départ de son mari pour l’Angleterre en 1066 alors qu’on sait que Mathilde meurt en 1083 ? Le but de ces histoires est satirique. On les croit d’autant plus que Guillaume est connu pour ses terribles colères. Fait assez exceptionnel, les historiens ne connaissent aucune maîtresse à Guillaume le Conquérant. Il semble donc avoir été un mari fidèle.

Guillaume le Conquérant était fils de lavandière

La Chronique des ducs de Normandie, écrite au XIIe siècle, prend parfois le caractère de roman à l’eau de rose. Son auteur, Benoît de Saint-Maure, raconte notamment comment Robert le Magnifique, le père de Guillaume le Conquérant, aperçoit de la fenêtre de son château de Falaise une belle femme lavant du linge dans le ruisseau de l’Ante. Il apprend qu’elle s’appelle Arlette et la fait appeler auprès de lui ; la nuit suivante, ils passent la nuit ensemble. Quelques mois plus tard, naît Guillaume, le futur Conquérant.

Des sources moins romancées nous renseignent sur l’origine sociale d’Arlette. Le chroniqueur anglo-normand Orderic Vital attribue à son père deux fonctions : chambrier ducal (une sorte d’intendant du palais) et « polinctor », qu’on traduit soit par tanneur soit par embaumeur de cadavres. Quoiqu’il en soit, ces deux métiers sont infamants, la société médiévale méprisant ceux qui travaillent ou manipulent des cadavres, humains ou animaux. A la lumière d’un autre poète du XIIe siècle, l’historien Vincent Carpentier déduit que le père d’Arlette est probablement un marchand de vêtements luxueux, en peaux, en fourrures et en étoffes. Il doit être un riche bourgeois de Falaise. Bref, si Arlette n’a pas d’ascendance aristocratique, elle n’est pas pour autant une domestique.

Guillaume le Conquérant a fondé Caen

Plan de Caen

Plan de Caen (détail) par Jacques Gomboust, ingénieur du roi, vers 1600. On observe l’enceinte formée par le château (Gallica).

Vers 1050, le jeune Guillaume réfléchit à l’établissement d’un point d’appui en Basse-Normandie, une région que le pouvoir ducal contrôle mal. Il pourrait choisir Bayeux, la capitale du Bessin, mais il se méfie de cette ville. Elle a appartenu à un seigneur rebelle. Il choisit d’établir une ville une dizaine de kilomètres en arrière de la côte. Un fleuve, l’Orne, assure la communication avec la mer. Pour favoriser le développement urbain, le duc installe un grand château et deux monastères, les abbayes-aux-hommes et aux-dames.

Caen est en fait habité depuis l’Antiquité. Les archéologues y ont trouvé des installations artisanales. A cet endroit, un acte du duc Richard III (1026-1027), l’oncle de Guillaume le Conquérant, cite le nom d’un village, Cathim. C’est même un bourg puisque le document recense des églises, un marché, un port et des moulins. Le nom de Cathim évolue au cours du Moyen Âge en Caham, Cam puis Caen. Par conséquent, Guillaume le Conquérant ne crée pas Caen mais, en y établissant deux abbayes, en l’érigeant en centre de pouvoir, il contribue indéniablement à la métamorphoser en ville.

A lire

La rédaction de cet article est fondée sur la lecture de quatre ouvrages :

  • François Neveux, La Normandie des ducs aux rois, Ouest-France, 1998
  • Michel de Bouärd, Guillaume le Conquérant, Fayard, 1984
  • Vincent Carpentier, Guillaume le Conquérant et l’estuaire de la Dives, éditions du Pays d’Auge, 2011
  • Jules-Auguste Lair, La Reine Mathilde dans la légende, Delesques, 1897

D’autres articles sur le personnage :

Laurent Ridel

Historien de formation, je vis en Normandie. Ma passion : dévorer des livres et des articles d'historiens qualifiés puis cuisiner leurs informations pour vous servir des pages d'histoire, digestes et savoureuses. Si vous êtes passionnés de patrimoine médiéval, je vous invite vers mon second blog : Décoder les églises et les châteaux forts

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2 Responses

  1. je fais ma gèanologie depuis1970 et accumule les fichesLAMAUVE ce nom vient du ancien saxon MAEWqui devient mauve qui en patois cauchoix signifie la mouette. tout ce est normand me passionne!

  2. yvon Forget dit :

    Je m’intéresse moi aussi à l’histoire..et surtout lorsque ça concerne la Normandie. J’ai fait ma généalogie et mes premiers ancêtres canadien viennent tous de la Normandie..de tout bord et de tous les côtés.

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