Les surnoms des ducs de Normandie

Tantôt flatteurs, tantôt irrévérencieux, parfois curieux ou indéchiffrables, les surnoms des ducs de Normandie sont plus connus que leur numéro. Voici les huit exemples les plus intéressants, de Rollon le Marcheur à Jean sans Terre.

Le duc de Normandie Richard Ier, dit "Sans peur". Statue à Falaise.

Le duc de Normandie Richard Ier, dit « Sans peur ». Statue à Falaise.

Rollon le Marcheur

Une saga scandinave explique que Rollon, le fondateur de la Normandie, était si grand qu’aucun cheval ne pouvait le porter. À défaut de monture à sa taille, le voici condamné à la marche. Le spécialiste des civilisations scandinaves Régis Boyer s’agace de cette interprétation. Pour lui, il faut entendre « Marcheur » comme un vagabond. Après son bannissement de sa terre natale, Rollon fut contraint d’écumer les mers et de parcourir les chemins.

Richard Sans Peur

Le petit-fils de Rollon a acquis ce surnom bien après sa mort puisqu’il apparaît, à notre connaissance, en 1530 dans un roman de chevalerie. À cette époque, le personnage littéraire n’a plus grand-chose à voir avec le personnage historique. Le duc de Normandie est devenu un héros légendaire. Dans ses pérégrinations, ni les cris de 10 000 aigles, ni la rencontre avec un mort-vivant sorti d’une bière, ni l’affrontement avec un redoutable chevalier du royaume d’enfer n’arrivent à l’effrayer. Devant tant de placidité, ses ennemis renoncent à le tourmenter.

Robert le Magnifique

Attention à la méprise. On imagine un duc glorieux, qui porte beau. Or, il faut entendre « magnifique » en son sens premier : généreux. Une désignation encore une fois acquise post mortem. Sur le chemin de Jérusalem, le duc converti en pèlerin aurait étalé sa magnificence. À Rome, chagriné que la statue de l’empereur romain Marc Aurèle subisse les intempéries, il la recouvre d’un riche manteau de brocart. Avant d’entrer à Constantinople, la capitale de l’Empire byzantin, Robert fait ferrer d’or sa mule. À Jérusalem, il distribue de l’argent afin que les pèlerins puissent payer le besant d’or exigé par les Arabes, maîtres de la ville. Un prince, au sens noble du terme.

Robert Courteheuse

Courteheuse signifie « Courte chausse », une référence à ses petites jambes et donc à sa petite taille. Qui lança cette allusion méprisante ? Les regards se tournent vers son père Guillaume le Conquérant qui, nous raconte Guillaume de Malmesbury, osa un jour railler son fils en public. Les relations entre les deux hommes étaient en effet orageuses. Cependant, on fait peut-être complètement fausse route. Robert Courteheuse était un guerrier qui passa sa vie à combattre avec ses compagnons d’armes. Et si, comme le suggère l’historien William H. Aird, Courteheuse est un surnom affectueusement décerné par ses camarades ?

Henri Beauclerc

Beau clerc, et pourtant le roi d’Angleterre et duc de Normandie Henri Ier n’avait rien d’un saint. Goûtant les plaisirs de la chair, il laissa de nombreux enfants illégitimes. C’était un homme dur, qui accepta par exemple, la mutilation de deux de ses petites-filles pour réparer les torts commis à l’encontre d’un seigneur normand. Par conséquent, plutôt qu’à l’état religieux, beau clerc renvoie à la culture de son détenteur. Un clerc était forcément versé en écriture. Orderic Vital présente en effet Henri comme un roi lettré, curieux et doué d’une excellente mémoire.

Sceau d'Henri Ier d'Angleterre

Sceau d’Henri Ier d’Angleterre, connu aussi comme Henri Beauclerc (reproduction sous forme d’une plaque située à Lyons-la-Forêt).

Geoffroi Plantagenêt

Geoffroi avait-il la main verte ? Car littéralement Plantagenêt désigne « celui qui plante un genêt ». Au début du XVIIe siècle, on explique que ce comte d’Anjou, devenu duc de Normandie par les armes, se signalait par le brin de genêt fiché à son bonnet. D’autres auteurs avancent que le prince aimait chasser dans les landes de genêts qu’il semait. Bref, le surnom reste encore mystérieux. Notons enfin sa fortune puisque les historiens s’en servent pour désigner la dynastie des rois d’Angleterre qui régneront jusqu’en 1399, tous descendants de Geoffroi.

Le roi d'Angleterre Richard Cœur de Lion et son blason orné de trois léopards.

Le roi d’Angleterre Richard Cœur de Lion et son blason orné de trois léopards. Illustration d’une chronique de Matthew Paris, 1255 (British Library).

Richard Cœur de Lion

On n’en fera pas tout un fromage. Oui, ce surnom souligne la témérité guerrière du roi d’Angleterre. Dans un registre moins flatteur, il renvoie peut-être aussi à son caractère impétueux, voire violent. L’assimilation au roi des animaux était d’autant plus naturel que, respectant la tradition des Plantagenêts, des léopards ornaient sa bannière. Pour anecdote, Richard avait pour beau-frère Henri le Lion, duc de Saxe et pour vassal en Écosse, le roi Guillaume le Lion. L’Europe du XIIe était une cage aux fauves !

Jean Sans Terre

Dans l’aristocratie, naître le dernier d’une grande fratrie est particulièrement frustrant. Dans les différents projets qu’échafaude Henri II Plantagenêt sur le partage de son immense empire — l’empire angevin comprend le royaume d’Angleterre, les duchés d’Aquitaine et de Normandie et le comté d’Anjou —, Jean Sans Terre reste le plus mal loti. Il doit se contenter de quelques places fortes alors que ses trois frères aînés, Henri le Jeune, Richard et Geoffroi, reçoivent des couronnes. Mais tout vient à point à qui sait attendre. Un à un, ses aînés entrent prématurément dans la tombe, qui plus est sans laisser de descendance. À l’exception de Geoffroi dont la femme met au monde l’enfant posthume Arthur. En 1199, le benjamin d’Henri II Plantagenêt récupère l’ensemble de l’empire angevin, puis fait emprisonner ce neveu gênant. On n’aura plus jamais de nouvelles d’Arthur..

Laurent Ridel

Historien de formation, je vis en Normandie. Ma passion : dévorer des livres et des articles d'historiens qualifiés puis cuisiner leurs informations pour vous servir des pages d'histoire, digestes et savoureuses. Si vous êtes passionnés de patrimoine médiéval, je vous invite vers mon second blog : Décoder les églises et les châteaux forts

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6 Responses

  1. Nancy dit :

    Merci pour ces moments d’histoires très intéressant.

    Comment il se fait que je ne trouve nulle part trace de cette histoire de mutilation des petites filles de Henri Beauclerc ?

  2. SPORTIELLO dit :

    Bonjour
    Je suis intriguée par le personnage de Verleng ou Guillaume Verleng
    duc ou comte de Normandie.
    En effet je suis de la famille Verlengia d’Italie et je me demande s’il n’y a pas un lien entre Verleng et Verlengia.
    Merci de votre aide

    • Laurent Ridel dit :

      Je n’ai pas les compétences de généalogiste pour vous le dire. Il est vrai que Guillaume Werlenc, comte de Mortain, a été exilé par Guillaume le Conquérant et qu’il a trouvé refuge en Italie du sud.

      • SPORTIELLO dit :

        .Merci beaucoup de votre réponse. Je continue à chercher en espérant trouver la relation entre Verleng et Verlengia.

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