Comment le royaume de France a digéré la Normandie ?

En l’an 1204, le gros duché de Normandie, ravi au roi d’Angleterre, est incorporé plus étroitement au royaume de France. La monarchie capétienne entame un processus d’intégration de la région. Un processus au final réussi car, même si quelques révoltes ont secoué la province, les Normands n’ont pas remis en cause leur appartenance française.

Intégration réussie

La reddition de Rouen en 1204 au roi de France Philippe Auguste. Chronique de Normandie, vers 1460. Mandragore/BNF.

En 1204, le roi d’Angleterre Jean sans Terre perd la Normandie, l’Anjou et le Maine face aux armées du roi de France, Philippe Auguste. Le duché de Normandie devient un pays occupé. Philippe Auguste, installe des garnisons françaises dans les châteaux ; les baillis sont remplacés par des hommes nés en Île-de-France. Des nobles normands perdent leurs terres, confisquées par le roi vainqueur à son propre profit ou au bénéfice de ses fidèles.

Malgré ce traitement brutal, les Normands dans leur grande majorité, se soumettent à leur nouveau maître, sans manifester le désir de retourner sous la domination du roi d’Angleterre. Ils acceptent leur sort. Probablement parce que la domination des Plantagenêt commençait à peser lourd : sous les rois Richard Cœur de Lion et Jean sans Terre, les guerres continuelles avec le voisin français assombrissaient le quotidien pendant que le financement des fortifications (Château-Gaillard par exemple) et de mercenaires alourdissaient la fiscalité.

Quelques dizaines d’années plus tard, le régime d’occupation s’assouplit. La suspicion des rois de France à l’égard des Normands s’évanouit. De plus de plus de baillis d’origine normande sont nommés. En 1313, le chambellan et ministre des finances du roi Philippe le Bel n’est autre qu’un seigneur du Vexin normand : Enguerrand de Marigny. Une dizaine d’années plus tard, une autre figure régionale, Robert Bertrand, est nommée maréchal du royaume. Les Normands sont parvenus au pied du trône.

La proximité géographique et l’unité linguistique expliquent la facilité de ce rapprochement franco-normand. Mais, au-delà de ces facteurs naturels, soulignons le rôle des rois de France, notamment le populaire saint Louis, qui ont su ménager les Normands en écoutant leurs plaintes et en leur reconnaissant quelques parcelles d’autonomie. L’attachement au souverain est déterminant dans la fidélisation des Normands, à une époque où le sentiment national ne contribue pas encore à cimenter le royaume.

Le roi d’Angleterre, de maître à ennemi

L’entrée dans la guerre de Cent Ans confirme la loyauté des Normands. En 1339, des députés normands rassemblés en assemblée, consentent à soutenir financièrement un projet de débarquement militaire en Angleterre. L’objectif est de renverser le roi Plantagenêt Edouard III et le remplacer par le fils du roi de France, le futur Jean le Bon. Les Normands acceptent de financer les bateaux et l’armée. Preuve que, moins de cent cinquante ans après leur soumission forcée, les habitants ont bien coupé les ponts avec leur ancien maître outre Manche. L’expédition échoue toutefois.

Aussi lorsqu’en 1417, le roi d’Angleterre, Henri V, débarque à son tour sur les côtes normandes, il se heurte à une vigoureuse résistance. Il lui faut deux ans de sièges pour soumettre l’ensemble des villes. « La Normandie n’a nullement accueilli le roi anglais comme un libérateur ou comme son seigneur naturel retrouvé » explique l’historien Roger Jouet. Une génération plus tard, le roi de France Charles VII remet la main sur la province.

Siège de Rouen en 1418-1419Le siège de Rouen par les Anglais en 1418-1419. Martial d’Auvergne, Vigiles de Charles VII, XVe siècle (Mandragore/BNF)

Contestations du pouvoir

Ne croyons pas pour autant que le mariage forcé de 1204, entre le Normandie ducale et la France, a débouché sur une longue lune de miel. Quelques révoltes ont secoué le lien les unissant. Ainsi Louis XIII et le cardinal Richelieu doivent faire à la révolte rurale des Nu-pieds en 1639, d’autant plus inquiétante qu’elle s’accompagne de soubresauts à Rouen, à Caen et à Bayeux. Un peu plus tard, en 1649, se déclenche une Fronde normande qui fait craindre à Mazarin une dissidence de la Normandie sous la bannière du principal noble rebelle, le duc de Longueville.

En fait, ces deux révoltes n’entendent pas remettre en cause l’appartenance de la province à la France. Les Nu-pieds, tout en dénonçant la rapacité des agents du fisc, clament leur fidélité au roi Louis XIII. C’est un mouvement antifiscal plutôt qu’un mouvement autonomiste. De même, la Fronde s’explique davantage comme une résistance à l’absolutisme croissant des Bourbons que par une remise en cause de la monarchie. Les Normands s’estiment mal récompensés de leur loyauté multiséculaire au roi de France et en attendent quelques égards.

Surveiller les Normands comme l’huile sur le feu

Les rois de France ne tardent jamais à réprimer les révoltes normandes. La Normandie est bien trop précieuse à leurs yeux pour tolérer un risque de dissidence. Au milieu du XVIIe siècle, ne fournit-elle pas à la monarchie près d’un quart des recettes fiscales, une part en disproportion de son poids économique et démographique ? Surtout, par sa situation en bord de Manche, la Normandie est quasiment une province frontière, face à l’ennemi traditionnel, l’Angleterre. Il ne faudrait pas que les rebelles normands trouvent appui chez les Anglais.

Ce fut le cas pendant la guerre de Cent Ans, lorsque un noble du Cotentin, Geoffroy d’Harcourt a dénoncé son hommage au roi de France pour le reporter sur le roi d’Angleterre. Il a ensuite invité son nouveau maître à passer la Manche et à mener une chevauchée dévastatrice en Normandie. Autre exemple, pendant les guerres de religion, en 1563 précisément, des protestants ont livré la ville du Havre aux soldats d’Élisabeth I.

Une fois en Normandie, les ennemis du royaume pouvaient menacer directement le cœur du royaume, la région parisienne. On comprend donc la stratégie délicate des rois de France : contrôler fermement la Normandie sans s’aliéner les Normands au risque de réveiller quelques envies séparatistes.

A lire

  • Roger Jouet, Et la Normandie devint française, 1983, réed. 2004 chez Orep.
  • Catherine Bougy et Sophie Poirey (éd.), Images de la contestation du pouvoir dans le monde normand (Xe – XVIIIe siècle): actes du colloque de Cerisy-la-Salle (29 septembre – 3 octobre 2004), Caen, PU Caen, 2007.

Laurent Ridel

Historien de formation, je vis en Normandie. Ma passion : dévorer des livres et des articles d'historiens qualifiés puis cuisiner leurs informations pour vous servir des pages d'histoire, digestes et savoureuses. Si vous êtes passionnés de patrimoine médiéval, je vous invite vers mon second blog : Décoder les églises et les châteaux forts

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1 Response

  1. 11 juillet 2015

    […] Histoire de la Normandie» non classé » La Normandie devint française. En l’an 1204, la Normandie, alors duché, est ravie par le roi de France Philippe Auguste à son ennemi le roi d’Angleterre. La région commence une progressive intégration au royaume de France. Un processus au final réussi car, même si quelques révoltes ont secoué la province, les Normands n’ont pas remis en cause leur appartenance française. Intégration réussie La reddition de Rouen en 1204 au roi de France Philippe Auguste. Chronique de Normandie, vers 1460. Mandragore/BNF. En 1204, le roi d’Angleterre Jean sans Terre perd la Normandie, l’Anjou et le Maine face aux armées du roi de France, Philippe Auguste. […]

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