La libération de la Normandie en 1944 aurait-elle échoué sans la Résistance ?

Quelques heures avant le débarquement du 6 juin 1944, la Résistance normande entre en action sur les consignes de Londres. Peu nombreuse et peu équipée, a-t-elle les moyens de favoriser l’offensive des Alliés ?

L’article suivant est présenté sous la forme d’une interview fictive

C’est par la BBC que les résistants apprennent le débarquement…

Oui, l’oreille collée au poste de radio, ils attendent la diffusion de messages bien précis. Le grand public retient aujourd’hui les vers de Verlaine (« les sanglots longs des violons de l’automne blessent mon cœur d’une langueur monotone »). En réalité, la BBC diffusa de nombreux autres messages énigmatiques, chacun s’adressant à des groupes de résistants particuliers. Ce sont des phrases moins poétiques du genre « Il fait chaud à Suez » ou « les dés sont sur le tapis ». Un premier message les informe de l’imminence du débarquement puis, quelques jours plus tard, le 5 juin, un second message leur commande de passer immédiatement à l’action.

Résistants

Faute de parachutage, les résistants n’étaient pas particulièrement bien armés. Sinon, ils pouvaient parfois compter sur des stocks abandonnés par l’armée français en 1940. Extrait du film « Nos patriotes », par Gabriel Le Bomin, 2017

Que doivent faire les résistants pour soutenir le débarquement du 6 juin 1944 ?

Depuis quelques mois, les Alliés leur ont réservé des missions visant à perturber la contre-offensive allemande vers les plages de Normandie. Vous avez le plan vert qui prévoit le sabotage des lignes ferroviaires, le plan Tortue qui vise à interrompre ou gêner la circulation routière… Ce dernier plan passe par exemple par l’abattage d’arbres sur la voie ou par l’inversion des panneaux de direction. Des bombardiers remplissent aussi ces missions, mais les résistants ont l’avantage d’être beaucoup plus précis que des bombes larguées à haute altitude.

À travers le plan rouge, les résistants pratiquent aussi la guérilla, harcelant les arrières de l’ennemi. À coup de fusil-mitrailleur ou à la grenade, ils s’attaquent à des véhicules isolés ou des estafettes en moto.

Par contre, les résistants n’ont pas pour mission de libérer la région…

Il faut comprendre que les résistants ne disposent absolument pas des moyens humains et matériels de refouler les Allemands. Ils sont peu nombreux et légèrement armés, voire pas du tout, la faute aux trop rares parachutages d’armes et de matériel effectués par les Alliés avant et après le débarquement. Quand le BOA (Bureau des opérations aériennes) organise puis réussit un parachutage, la Gestapo met souvent la main sur la livraison. Selon l’historien Olivier Wieviorka, les Alliés incluent bien tardivement la Résistance dans leur stratégie et, de toute façon, n’envisagent pas de l’armer en masse.

D’abord excités par l’annonce du débarquement à leurs portes, les résistants normands se rendent compte qu’ils risquent trop à se découvrir. Les Alliés avancent beaucoup plus lentement qu’ils le pensaient et les troupes allemandes ne cessent de grossir pour repousser l’invasion.

Les résistants sortent vraiment de l’ombre quand le front ne se situe plus qu’à quelques kilomètres. Certains traversent alors les lignes pour informer les Alliés des points de défense allemande et les guider dans la campagne. Parfois, les Normands s’enhardissent jusqu’à libérer eux-mêmes des communes. Fin août 1944, les FFI (Forces françaises de l’Intérieur) chassent l’occupant de Mortagne, Longny et de nombreux villages du Perche. Le 19 août, des maquisards réfugiés dans la forêt de Bizy s’emparent de Vernon ; face aux contre-offensives allemandes, ils réussissent à tenir la ville 5 jours jusqu’à l’arrivée d’un régiment britannique.

Résistant et GI's

Soldats américains et Franc-tireur et Partisans (FTP). Les premiers tiraient des résistants de précieux renseignements sur le dispositif de défense allemand (US Army Signal Corps. Wikimedia Commons).

Vous parlez des FFI. Qui sont-ils ?

Les FFI regroupent les forces armées de la Résistance. Nous avons vu les divisions politiques entre les différents mouvements et le cloisonnement entre les réseaux. Non sans mal, le général de Gaulle parvient en 1943 et 1944 à unifier la Résistance intérieure française. Cependant, l’union reste de façade, lézardée par les querelles de chefs et l’anti-gaullisme de certains.

Pendant la Bataille de Normandie, la Résistance paie néanmoins un lourd tribut…

Dès le 6 juin 1944, le chef de la police Harald Heynz fait tuer 75 à 80 prisonniers, la plupart résistants, dans la prison de Caen. Aujourd’hui encore, on ne sait pas où sont leurs corps.

Parallèlement, la répression ne faiblit pas malgré l’urgence de la situation militaire. C’est le moment où sévissent dans le Calvados et l’Orne, la bande à Hervé et la bande à Jardin. Ce sont des groupes de Français qui collaborent avec la Gestapo.

Dès le 13 juin 1944, la Gestapo capture Daniel Desmeulles, le chef départemental des FFI ornais. Il est remplacé par un instituteur André Mazeline, mais son petit frère Jean Mazeline, 24 ans, est arrêté un mois et demi plus tard, près de l’Aigle. Il est fusillé sans avoir dénoncé son aîné. Tendus par les événements, les Allemands n’hésitent plus à tuer les résistants ou les suspects au lieu de les emprisonner.

Monument aux résistants de Beaucoudray

Monument de Beaucoudray (Manche) en l’honneur des 13 résistants tués par les Allemands le 15 juin 1944 (Communauté des communes de Tessy-sur-Vire, sur Flickr.com. Licence Creative Commons).

La contribution des résistants à la Libération de la Normandie est-elle décisive ?

La question reste débattue. L’historien Jean Quellien reconnaît les limites de leur action : « Que pouvaient faire quelques centaines de résistants au cœur d’une bataille gigantesque opposant des centaines de milliers d’hommes ? » Néanmoins dans l’Orne, protégés par les nombreuses forêts, ils arrivent à freiner l’arrivée de renforts allemands vers le front.

En Seine-Maritime, l’historien Michel Baldenweck juge : « la Résistance ne peut éviter ni les sabotages allemands de dernière heure, ni le transport des troupes vers la Basse-Normandie. [Par contre], l’apport de la Résistance en matière de renseignement a été décisif ».

À l’échelle de la France, Eisenhower jugea son concours « non négligeable ». Indiscutablement, en Normandie et dans le reste du pays, les résistants gênèrent la contre-offensive de Wehrmacht en coupant les voies de communication et les liaisons téléphoniques. Mais pas au point de changer fondamentalement le cours de la guerre. En tout cas, c’est l’avis de l’historien Jean-François Muracciole qui estime : « Résistance ou pas, sans doute les Alliés auraient-ils libéré la France selon un calendrier guère différent. »

Robert Leblanc

Robert Leblanc, le charismatique chef du maquis Surcouf (Wikimedia Commons).

Une fois la Normandie libérée, que deviennent les résistants ?

Certains continuent le combat en intégrant l’armée régulière, notamment la 2e division blindée du général Leclerc ou les bataillons de marche de Normandie. La guerre terminée, ils retrouvent souvent leur vie d’avant. Vu leur service à la patrie, on aurait pu s’attendre à voir ces personnes occuper des postes élevés ou s’engager dans une carrière politique. Or, leur destin post-guerre semble bien modeste pour la plupart.

Prenons l’exemple de Robert Leblanc, le chef du maquis Surcouf. Épicier de village, il donne son commerce à une femme particulièrement éprouvée par les représailles allemandes. Puis il fonde une petite entreprise de transport qui ne tient que quelques années.

Dans le Calvados, Léonard Gille, un temps président du Comité départemental de Libération, échoue à la députation et doit se contenter d’être élu conseiller général.

L’itinéraire de Jacques Foccart, figure de la Résistance dans l’Orne et la Mayenne, est plus original : poursuivant son activité de l’ombre, il dirige le SAC, le sulfureux service d’ordre des gaullistes avant de devenir l’occulte artisan de la Françafrique.

En savoir plus

La trilogie d’articles sur Histoire-Normandie.fr
Bibliographie
  • Michel Boivin et Jean Quellien, « La Résistance en Basse-Normandie : définition et sociologie » dans La Résistance et les Français : Enjeux stratégiques et environnement social, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 1995, disponible sur Internet
  • Journal du Maquis du débarquement à la libération, rédigé par Robert Leblanc, chef du maquis Surcouf, présenté et commenté par Alain Corblin, Société historique de Lisieux, 2014
  • Marie-Josèphe Bonnet, Un réseau normand sacrifié. Le réseau Jean-Marie Buckmaster du SOE britannique, Ouest-France, 2016
  • Cécile Vast, « Résistance intérieure française » et « Résistant, le phénomène (à travers l’exemple français) », dans Jean-François Muracciole et Guillaume Piketty, Encyclopédie de la Seconde Guerre mondiale, Robert Laffont et ministère de la Défense, 2015, p.1121-1126 et p.1141-1147
  • François Marcot, Dictionnaire historique de la Résistance, Robert Laffont, 2006
Musées
  • Musée de la Résistance et de la Déportation à Forges-les-Eaux
  • Mémorial des civils dans la guerre à Falaise
  • Musée de la Résistance et de la Déportation à Manneville-sur-Risle
Podcast
Vidéo
  • Rodolphe et Jacques Rutman, Les sanglots longs des violons… – La Résistance et le Débarquement en Normandie, documentaire produit par Arte France et 13 Production, 2004

Site web
  • Collection webdocumentaire : les Résistances, collection webdocumentaire produit par France Télévision. Cette plateforme interactive et pédagogique donne la parole aux derniers témoins de la Résistance et explore les fonds d’archives historiques

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Laurent Ridel

Historien de formation, je vis en Normandie. Ma passion : dévorer des livres et des articles d'historiens qualifiés puis cuisiner leurs informations pour vous servir des pages d'histoire, digestes et savoureuses. Si vous êtes passionnés de patrimoine médiéval, je vous invite vers mon second blog : Décoder les églises et les châteaux forts

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2 Responses

  1. Corblin Alain dit :

    Bravo Laurent pour ce résumé sur la Résistance. Alain Corblin

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