Le vrai visage de la Résistance : le cas de la Normandie

Le cinéma a souvent figé l’image des Résistants sous la forme de héros pratiquant la lutte armée. Or, ce type d’action suscite des réticences parmi la population. En réalité, la Résistance normande sut aussi inventer des moyens d’opposition originaux et non violents et se rendre utile aux Alliés sans verser le sang.

L’article suivant est présenté sous la forme d’une interview fictive

Sabotage d'un pont

Explosion d’un pont au passage d’un train. En Seine-Maritime, les sabotages ferroviaires étaient les actes armés les plus fréquents de la Résistance (extrait du film « Les Patriotes par Gabriel Le Bomin, 2017)

Quelles sont les actions d’éclat de la Résistance normande ?

Le 16 avril 1942, des résistants font dérailler le train Cherbourg-Maastricht à Airan à quelques kilomètres de Caen. Bilan : 30 morts, notamment des soldats allemands qui revenaient de permission. En mai 1944, les pylônes de la centrale Rai-Aube, près de L’Aigle, sont détruits. Une partie de la Normandie se trouve privée d’électricité.

Il y a aussi ce vol incroyable, tellement incroyable que son authenticité n’est pas acceptée par tous les historiens. En 1942 ou 1943, René Duchez, un peintre en bâtiment, travaille à Caen dans un bureau de l’organisation Todt, l’entreprise chargée de la construction des fortifications du Mur de l’Atlantique. Profitant d’une courte absence de l’officier allemand, l’artisan se saisit d’une grande carte déposée sur le bureau et la cache derrière un miroir. Il la récupère quelques jours plus tard, et la dissimule dans un rouleau de papier peint. La grande carte (3 m de long tout de même) parvient jusqu’à Londres. Les Alliés disposeront ainsi de la localisation des secteurs fortifiés entre Cherbourg et Honfleur. Cette histoire sert de synopsis au film « Le mur de l’Atlantique » dans lequel Bourvil joue le rôle du peintre.

Le Mur de l'Atlantique

Dans le film « Le mur de l’Atlantique », Léon Duchemin, restaurateur en bâtiment, tombe sur une carte secrète des côtes normandes. Une histoire inspirée de faits réels.

Même si l’histoire reste douteuse, elle présente l’avantage de montrer l’importance du renseignement dans l’activité résistante…

En effet, on a peut-être une image déformée du rôle de la Résistance. On lui prête des actions militaires comme des sabotages, d’attentats contre les collaborateurs ou des embuscades tendues aux soldats allemands. Ils ont bien sûr existé, mais la Résistance fut aussi non violente. Le cinéma met rarement en valeur ces figures moins héroïques : cette mercière dont l’établissement sert de boîtes à lettres pour transmettre le courrier entre résistants, ce garagiste qui cache des armes dans son atelier, cette jeune fille à vélo qui part transmettre un message, cet imprimeur qui édite des tracts, ce gendarme qui prévient un résistant de son arrestation prochaine…

En fin de compte, la lutte armée occupa une minorité de résistants ou une petite partie de leur temps. En réalité, avant le débarquement du 6 juin 1944, la résistance normande se consacra à deux activités principales : le renseignement et les sauvetages.

Qu’appelez-vous les sauvetages ?

Ce terme regroupe toutes les actions destinées à cacher ou à évacuer hors de Normandie différentes personnes pourchassées par les Allemands ou les collaborateurs. Il peut s’agir d’aviateurs alliés, de résistants démasqués, de prisonniers évadés… Les filières d’exfiltration vers l’Angleterre pouvaient passer par la zone libre et l’Espagne. Pour que l’opération réussisse, il fallait souvent de faux papiers. D’où l’importance pour la Résistance de disposer d’agents dans les préfectures, dans les commissariats ou dans les mairies.

Vous avez évoqué l’importance du renseignement…

Cette activité était d’autant plus importante que les Américains et les Anglais envisagent dès août 1943 un débarquement en Normandie. Il leur faut donc des informations sur les défenses ou les forces de l’adversaire : mouvements de troupes, localisation des fortifications, des dépôts d’essence, des rampes de lancement V1 ou des terrains d’aviation… La Résistance se compose donc d’informateurs et d’agents de liaison chargés d’acheminer l’information jusqu’aux services secrets installés à Londres. Cependant tous ces exemples n’épuisent pas la diversité des actes de résistance.

Agent de liaison

A pied ou à vélo, l’agent de liaison transmet oralement ou par courrier les informations entre résistants. Extrait du film « Nos patriotes », par Gabriel Le Bomin, 2017.

À ce propos, les historiens Jean Quellien et Michel Boivin parlent d’une « péri-résistance » ou d’une « infra-résistance ». Que veulent-ils dire ?

Pour eux, il y eut aussi résistance hors du cadre organisé des réseaux, des maquis et des mouvements. La Résistance ne pourrait-elle pas être définie comme tout acte manifestant une hostilité à l’égard de l’occupant ou du régime de Vichy ou à l’inverse une sympathie envers les Alliés ? À l’été 1941, à l’appel de la BBC, les murs de Caen, Cherbourg, Saint-Lô, Lisieux, Bayeux se couvrent de graffiti V, lettre symbole de la victoire. Tous les 14 juillet, des filles se promènent arborant à travers leurs vêtements un assortiment de couleurs bleu, blanc et rouge. Dans les cimetières, des habitants viennent fleurir la tombe d’un aviateur allié tué lors d’un crash.

Si on compte ces différents actes, le nombre de résistants normands dépasse alors sûrement de très loin les 10000. Mais des historiens, comme Pierre Laborie ou François Marcot, s’opposent à l’idée de les inclure.

Comment la majorité des Normands, les attentistes, jugent-ils l’activité des résistants ?

Certains la voient d’un bon œil : à l’occasion, ils sont prêts à cacher des résistants, à les ravitailler. Ils ferment les yeux sur leurs agissements. Un maquis ne peut pas survivre sans un certain soutien ou une certaine complicité des habitants.

À l’inverse, des Normands témoignent d’une hostilité ou d’une méfiance à l’égard de la Résistance, sans pour autant basculer dans la collaboration. La lutte armée ne fait pas l’unanimité, car elle entraîne des représailles allemandes à l’égard de la population civile. En réaction au déraillement d’Airan, déjà évoqué, l’Occupant arrête puis déporte une centaine de cheminots, de juifs, de militants communistes de Caen et de tout le département du Calvados. L’opinion s’interroge : envoyer à la mort des innocents n’est-il pas un prix trop lourd à payer pour un objectif — le déraillement d’un train de permissionnaires — sans intérêt militaire ?

Les craintes de représailles expliquent pourquoi certains Normands refusent de se compromettre avec les résistants. Combien de fermiers ont été sommairement fusillés pour avoir abrité temporairement des résistants ? Ce genre d’exécution refroidit les volontés de coopération. Enfin, à cause de leur clandestinité, de comportements parfois excessifs ou de vols, certains résistants sont considérés par la population comme des bandits. Bref, les membres de la Résistance, unanimement célébrée aujourd’hui, ne sont pas toujours considérés comme des héros sous l’Occupation.

Accueil d'un résistant par une fermière. Une illustration des rapports parfois tendus entre résistants et simples civils. Extrait du film "Nos résistances" par Romain Cogitore (2011).

Accueil d’un résistant par une fermière. Une illustration des rapports parfois tendus entre résistants et simples civils. Extrait du film « Nos résistances » par Romain Cogitore (2011).

Comment les Allemands luttent-ils contre les résistants ?

Tout le monde connaît la redoutée Gestapo, mais les Allemands s’appuient aussi sur d’autres troupes de surveillance et de répression (comme l’Abwehr) et d’auxiliaires français. En janvier 1943, le régime de Vichy a créé la Milice, une police destinée à rechercher les Juifs, les réfractaires au STO (Service du Travail Obligatoire) et les résistants.

Leur travail s’appuie sur les dénonciations et sur la surveillance des profils suspects comme les syndicalistes et les anciens membres du Parti communiste (depuis 1939, le PC est interdit). Inutile d’insister sur les méthodes pour obtenir des aveux ou des informations, une fois la personne arrêtée : les films de cinéma abordant la période 1939-1945 montrent les chantages, les interrogatoires musclés, et les tortures pratiquées par les agents.

Moins connus, les agents doubles font aussi beaucoup de mal à la Résistance. Un cas parmi d’autres, celui de l’abbé Alesh. Salarié par l’Abwehr, ce prêtre luxembourgeois se fait passer pour un gaulliste convaincu, infiltre des groupes de résistants rouennais et lexoviens qu’il dénonce ensuite. Après la Libération, il sera jugé puis fusillé.

Interrogatoire

Interrogatoire de résistants. Au-delà des coups, les Allemands menaçaient les résistants de représailles sur les proches afin qu’ils parlent. Extrait du film « Nos patriotes », de Gabriel Le Bomin, 2017

Quelle est l’efficacité de la lutte contre la Résistance ?

Loin d’être des idiots comme le montrent certaines comédies françaises, les Allemands se montrent très efficaces dans la traque des résistants. Et ce malgré les faibles effectifs dévolus à cette tâche. À la fin de l’année 1943, suite à plusieurs coups de filet, la Résistance normande est mal en point. En certains secteurs, elle est même décapitée ou totalement démantelée. Or, le débarquement sur les plages de Normandie se prépare…

En savoir plus

La trilogie d’articles sur Histoire-Normandie.fr
Bibliographie
  • Michel Boivin et Jean Quellien, « La Résistance en Basse-Normandie : définition et sociologie » dans La Résistance et les Français : Enjeux stratégiques et environnement social, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 1995, disponible sur Internet
  • Journal du Maquis du débarquement à la libération, rédigé par Robert Leblanc, chef du maquis Surcouf, présenté et commenté par Alain Corblin, Société historique de Lisieux, 2014
  • Marie-Josèphe Bonnet, Un réseau normand sacrifié. Le réseau Jean-Marie Buckmaster du SOE britannique, Ouest-France, 2016
  • Cécile Vast, « Résistance intérieure française » et « Résistant, le phénomène (à travers l’exemple français) », dans Jean-François Muracciole et Guillaume Piketty, Encyclopédie de la Seconde Guerre mondiale, Robert Laffont et ministère de la Défense, 2015, p.1121-1126 et p.1141-1147
  • François Marcot, Dictionnaire historique de la Résistance, Robert Laffont, 2006
Musées
  • Musée de la Résistance et de la Déportation à Forges-les-Eaux
  • Mémorial des civils dans la guerre à Falaise
  • Musée de la Résistance et de la Déportation à Manneville-sur-Risle
Podcast
Vidéo
  • Rodolphe et Jacques Rutman, Les sanglots longs des violons… – La Résistance et le Débarquement en Normandie, documentaire produit par Arte France et 13 Production, 2004

Site web
  • Collection webdocumentaire : les Résistances, collection webdocumentaire produit par France Télévision. Cette plateforme interactive et pédagogique donne la parole aux derniers témoins de la Résistance et explore les fonds d’archives historiques

Laurent Ridel

Historien de formation, je vis en Normandie. Ma passion : dévorer des livres et des articles d'historiens qualifiés puis cuisiner leurs informations pour vous servir des pages d'histoire, digestes et savoureuses. Si vous êtes passionnés de patrimoine médiéval, je vous invite vers mon second blog : Décoder les églises et les châteaux forts

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2 Responses

  1. LACOUR dit :

    Encore une lecture très intéressante et pleine de recherches.
    À lire absolument.
    Bravo Laurent

    • Laurent Ridel dit :

      Merci Annie. Oui, beaucoup de recherches et donc beaucoup d’infos recueillies au point que le sujet sur la Résistance est décliné en 3 articles.

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