Le Jour J : la Seconde Guerre mondiale se joue sur les plages normandes

Le 6 juin 1944, la Normandie se trouve au cœur d’une des plus grandes batailles de l’histoire. L’enjeu pour les Alliés : réussir leur débarquement sur les plages. Mais en face, les Allemands les attendent, à l’abri du Mur de l’Atlantique. 

(L’article suivant est présenté sous forme d’interview fictive)

Omaha beach

Des Américains s’apprêtent à débarquer sur Omaha beach le 6 juin 1944 (U.S. National Archives)


Pourquoi ce débarquement du 6 juin 1944 ?

Les Alliés cherchent à ouvrir un front en Europe occidentale. Le but étant de détruire l’armée allemande, libérer cette partie de l’Europe et arracher la capitulation du Reich sans conditions.  Un objectif ambitieux d’où peut-être le pompeux nom de code attribué à l’opération : Overlord (« Suzerain » en anglais).

Combien de temps a nécessité la préparation de cette opération Overlord ?

Dès novembre 1942, les Américains approuvent le projet d’un débarquement en Europe occidentale mais Churchill n’y est pas favorable. Il préfère attaquer les forces allemandes sur des fronts secondaires, comme la Méditerranée.

Au cours de la conférence anglo-américaine de Washington en mai 1943, Roosevelt impose Overlord pour le 1er mai 1944. Mais les préparatifs commencent seulement six mois avant le Jour J, à partir du moment où est nommé Dwight Eisenhower comme commandant suprême de l’opération.

C’est cet Américain de 54 ans qui coordonne l’acheminement des troupes américaines en Grande-Bretagne, qui réfléchit à la tactique du débarquement, qui rassemble les bateaux nécessaires à la traversée de la Manche…

Churchill et Roosevelt

Rencontre entre Winston Churchill et Franklin D. Roosevelt à Casablanca en janvier 1943. Le Britannique n’a jamais été un partisan du débarquement en Normandie. Par contre Staline se réjouissait à cette perspective : l’ouverture d’un front en Europe occidentale contraindrait les Allemands à retirer des divisions sur le front russe. (Wikimédia Commons. U.S. National Archives and Records Administration)

Pour la réussite du débarquement, les Alliés comptent aussi sur l’effet de surprise. Or, les Allemands s’attendent à un débarquement. Restent aux Alliés à les enfumer sur la date et le lieu de l’événement. Comment y arrivent-ils ? 

Les Alliés lancent une opération spéciale, Fortitude, pour tromper l’ennemi. Par exemple, ils créent de faux trafics radios entre des états-majors fictifs pour donner l’illusion de la préparation d’une grande opération. Ils utilisent des agents doubles, embauchés par les services secrets allemands (l’Abwehr notamment) puis retournés par les Anglais. Ces agents transmettent de fausses informations aux services d’espionnage allemands. L’opération Fortitude réussit à merveille : les Allemands ne savent pas où et quand se produirait le débarquement. Hitler est donc contraint d’éparpiller ses forces sur toute la façade maritime occidentale, c’est-à-dire de la Gascogne à la Norvège.

Eisenhower

Le général Eisenhower en compagnie de parachutistes. Surnommé Ike, le commandant suprême d’Overlord discute avec les soldats qui seront parachutés en Normandie dans la nuit du 5 au 6 juin (U.S Navy, Wikimédia Commons)

Et les deux fameux vers de Verlaine : « les sanglots longs des violons de l’automne blessent mon cœur d’une langueur monotone » ? Les Allemands captent ce message en sachant bien que c’est un code destiné à la Résistance pour les avertir de l’imminence de l’événement.

Oui, un officier allemand du contre-espionnage capte le premier vers à la BBC dans la nuit du 1e juin. Il avertit son chef d’état-major qui met aussitôt en alerte la 15e armée. La 15e armée défend notamment les côtes du Pas de Calais. L’information est aussi transmise au quartier général du maréchal von Rundstedt à Saint-Germain-en-Laye et à celui de Rommel à la Roche-Guyon. Eux seuls peuvent mettre en alerte les armées stationnées en Normandie ou faire appel à des renforts d’unités blindées.

Étrangement ces deux états-majors ne prennent aucune de ces dispositions. Probablement parce que les Allemands ont tellement été intoxiqués de fausses alertes qu’ils doutent maintenant de toute information prédisant le débarquement.

Peut-être aussi parce qu’ils comptent sur le Mur de l’Atlantique pour arrêter les assaillants. En quoi consiste ce Mur ?

Plutôt qu’un mur continu, c’est une succession de points fortifiés le long de la côté, de la Norvège à la frontière franco-espagnole. Imaginée par Hitler dès 1941, le mur doit assurer la défense de plus de 4500 km de côtes ! Tâche titanesque et illusoire malgré la réquisition des populations locales.

Nommé en 1943 inspecteur des fortifications à l’ouest, Rommel constate les lacunes et accélère les travaux. Il a en plus l’idée d’installer à l’approche des côtes des obstacles sous-marins (des cônes en béton, des tétraèdres en acier, des pieux…), certains étant minés. Leur but est de bloquer ou de crever les embarcations alliés qui tenteraient de débarquer. Ces obstacles poseront en effet beaucoup de difficultés aux Alliés le Jour J.

Les Alliés hésitent plusieurs mois sur le lieu du débarquement. Normandie ou Pas-de-Calais ? Finalement, la première est choisie. Quels avantages présente la région normande ?

Les deux régions se valent. Elles sont parmi les plus proches de l’Angleterre d’où une minimisation du temps de traversée. En outre, la Normandie et le Pas-de-Calais offrent chacune des côtes basses et de grandes plaines dans l’arrière pays, deux conditions idéales pour débarquer puis pour installer des bases aériennes.

Toutefois, la Normandie présente deux inconvénients. Premièrement, elle est trop loin des grands ports européens (Anvers notamment) par qui, à l’avenir, le matériel des Alliés sera importé. Deuxièmement, la Normandie est plus loin du cœur du Reich, ce qui ralentira sa chute. Cependant, les Alliés sauront tirer profit de cet éloignement. Ils se disent : « puisque le Pas-de-Calais présente tous les avantages, les Allemands y concentreront leurs forces ; alors faisons-leur un pied de nez en débarquant en Normandie ».

A cause de problème logistiques et météorologiques, le débarquement est repoussé au 6 juin 1944. C’est la plus grande opération amphibie de tous les temps… 

Dans la nuit du 5 au 6 juin 1944, l’immense flotte alliée qui quitte les ports anglais en direction de la Normandie, comprend 1200 bâtiments de guerre et 5700 navires de transports. A terme, il est envisagé de débarquer sur plusieurs semaines environ 2 millions d’hommes sans compter les milliers de tonnes de matériel.

Certains bateaux tractent les éléments qui serviront à créer deux ports artificiels. L’un en face d’Arromanches, l’autre devant Saint-Laurent-sur-Mer.

La flotte doit arriver en vue des plages normandes à l’aube. En fait, le débarquement a commencé depuis plusieurs heures…

Oui, depuis minuit environ, des parachutistes ont sauté sur la Normandie et des planeurs, chargé d’hommes et de matériel lourd, ont atterri.  Ces troupes préparent le débarquement de leurs camarades sur les plages. Précisément, elles doivent tenir les flancs de la future zone de débarquement, à savoir le secteur de Sainte-Mère-Eglise à l’ouest et l’estuaire de l’Orne à l’est.

Ces largages nocturnes virent au tragique…

En effet, beaucoup de parachutistes ne sont pas largués sur les points prévus. Certains atterrissent en pleine mer ou dans les marais de la Dives ou de Carentan. La plupart se noyent alors même qu’il n’y avait parfois qu’un mètre d’eau. Simplement parce qu’à cause du poids de leur équipement et de leur parachute mouillé, ils ne purent s’extirper de la vase. Malgré ces pertes et la dispersion des troupes, les unités aéroportées ou parachutées réussissent à atteindre la plupart de leurs objectifs. Par exemple la prise de Pegasus Bridge sur le canal de Caen à la mer.

Carte du débarquement : Utah, Omaha, Sword, Juno, Gold

Utah, Omaha, Gold, Juno Sword : les cinq secteurs où débarquent les Américains, les Britanniques et les Canadiens le 6 juin 1944

Le plan d’Overlord prévoit cinq secteurs de débarquement situés principalement sur les côtes du Calvados ainsi que sur quelques plages orientales du Cotentin. En résumé, quelle est la tactique pour conquérir le rivage ?

45 mn avant le débarquement, les bâtiments de guerre pilonnent la côte d’obus afin de détruire les défenses côtières. Le débarquement est programmé à l’aube au moment où la marée est mi-montante ; une mer trop haute empêcherait en effet de repérer les obstacles sous-marins tandis qu’une mer trop basse obligerait les troupes à courir à découvert plus d’un kilomètre avant d’arriver au pied des défenses allemandes.

Des barges débarquent hommes et véhicules en plusieurs vagues. Pendant que des soldats liquident les derniers points de résistance allemands, d’autres font sauter les obstacles sur la plage afin de dégager des passages vers l’intérieur des terres. Le gros des troupes et du matériel pourra alors débarquer à leur tour et se ruer sur l’arrière-pays.

À 6h30 précise (l’heure H), la première vague d’assaut s’élance sur les plages d’Omaha et d’Utah, suivie à 7h45 par les Anglais sur Sword et Gold et enfin à 7h55 par les Canadiens sur Juno. Rapidement, l’opération tourne à l’avantage des Alliés…

Sur la plupart des plages, le mur de l’Atlantique ne tient même pas une heure. Les côtes s’avérent peu défendues. Certaines batteries qui inquiétaient tant les stratèges alliés sur le papier se révèlent dépourvues de canons. Le Mur de l’Atlantique, vanté par la propagande allemande, n’est pas terminé. Les défenses du Reich plient surtout sous le nombre. Sur Juno, les 2400 Canadiens du général Keller affrontent seulement 400 Allemands.

Mais ce succès global ne doit pas occulter les multiples points noirs auxquels se heurtent les soldats. À écouter ces acteurs de l’événement, on se rend compte que chacun a une perception différente du Jour J. Pour certains, le débarquement est une promenade de santé, comparé aux entraînements qu’ils ont reçu en Angleterre. D’autres se demandent comment ils ont survécu au milieu des rafales et des explosions. Tout dépend de l’endroit précis où débarque le soldat (et aussi de l’heure). La situation peut être complètement différente sur un même secteur.

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Dans la matinée du 6 juin 1944, une barque de débarquement vient de libérer des soldats américains qui s’élancent sur Omaha Beach (National Archives and Records Administration)

Un secteur du débarquement pose néanmoins des problèmes aux Alliés : Omaha. En quelques heures, les Américains y perdent environ 2500 soldats. A quelles difficultés se heurtent les troupes qui tentent de prendre pied sur le rivage ?

La topographie d’Omaha facilite la défense allemande, installée sur les dunes et collines au-dessus de la plage. Les bombardements précédent le débarquement auraient pu réduire les points fortifiés mais ils ont généralement manqué leur cible.

De plus, les Alliés se trompent sur leur adversaire : ils s’attendent à affronter la 716e division d’infanterie de la Wehrmacht, composée entre autres de supplétifs, c’est-à-dire de Polonais, de Russes peu motivés à défendre le IIIe Reich. Or, ils tombent sur une division bien plus redoutable, la 352e. Les Allemands résistent donc avec acharnement et prennent un malin plaisir à viser les soldats du génie américain qui tentent sous la mitraille de débarrasser la plage de ses obstacles.

Face à une telle déconfiture, le général américain Omar Bradley envisage, au milieu de la journée, de renoncer à l’attaque et de débarquer le reste des troupes et du matériel à Utah. Finalement, l’audace de quelques officiers retourne la situation. Omaha tombe à la fin de la journée.

Quel rôle jouent les Français dans le débarquement ?

Presque nul. Les 177 hommes seulement participent à l’assaut sur les plages. Sous le commandant de Philippe Kieffer, ils contribuent notamment à la prise du casino d’Ouistreham. Mais, convenons-en, leur nombre représente une goutte d’eau parmi les troupes qui participent au Jour J. La France Libre combat surtout en Méditerranée.

De Gaulle ne fut jamais invité aux préparatifs d’Overlord et n’apprit l’imminence du débarquement que le 4 juin.

Au final, les Français les plus actifs sont probablement les Résistants…

Assurément. Avant le débarquement, ils ont déjà apporté aux Alliés des informations très précieuses sur le dispositif de défense allemand. Le Jour J, sur des consignes des services secrets alliés, ils coupent les fils téléphoniques, sabotent les voies ferrées, abattent des arbres sur les routes. Autant d’actions destinées à ralentir l’arrivée des renforts allemands vers les plages de Normandie.

Scène du film "Il faut sauver le soldat Ryan".

Des GI s’emparent d’une batterie côtière. Scène du film « Il faut sauver le soldat Ryan ».

Comment expliquer la défaite allemande ?

L’historien Olivier Wieviorka estime que le Reich paya trois grandes faiblesses. Premièrement, la Luftwaffe qui, par manque d’avions de chasse et de bombardiers, fut incapable de repérer les préparatifs du débarquement en Angleterre puis de contre-attaquer le Jour J. Deuxièmement, la marine qui laissa tranquillement la flotte alliée traverser la Manche. Troisièmement, les services d’espionnage qui ne surent jamais affirmer avec assurance le lieu et la date du débarquement.

On a aussi expliqué la défaite allemande par la lenteur de leur réaction. Qu’en pensez-vous ?

A l’appui de cette thèse, on explique que Rommel et Hitler ne furent avertis du débarquement que vers 9h alors que les premiers parachutistes alliés avaient été largués sur la Normandie vers 0h15 et que l’assaut des plages avait démarré à 6h30. Les états-majors allemands tardèrent à lancer l’alerte générale. D’abord parce qu’il ne croyait pas à l’imminence du débarquement. Quand les soldats allemands s’accrochèrent avec les parachutistes durant la nuit, ils découvrirent aussi des mannequins de paille largués par l’aviation alliée. Ils en conclurent à une manœuvre de diversion.

Puis quand les Alliés se ruèrent à l’assaut des plages, ils se demandèrent à nouveau si l’opération n’était pas une ruse cachant un véritable débarquement dans le Pas-de-Calais. La méfiance des officiers allemands fit perdre quelques heures à la contre-offensive du Reich. Ce temps perdu fut-il pour autant décisif dans la victoire alliée ? A mon avis, non. La défaite allemande tient plus à la qualité de la préparation du débarquement allié et à l’insuffisance du Mur de l’Atlantique.

Quel est le bilan du débarquement au soir du 6 juin ?
Le commandement allié est largement satisfait : les troupes ont réussi à prendre pied sur les cinq plages. Les pertes se révèlent largement inférieures aux prévisions : on compte environ 10 000 morts, blessés ou disparus, alors qu’on en attendait 25 000. Moins de 3 % des effectifs débarqués ont trouvé la mort. Le débarquement n’a pas été si meurtrier qu’on le croit souvent.

Toutefois, deux bémols empêchent le commandant suprême Eisenhower de se féliciter : d’une part, Caen n’a pas été prise alors que la ville constituait un objectif du Jour J. D’autre part, les Allemands n’ont pas encore lancé leur contre-offensive. Plusieurs divisions blindées convergent vers les côtes normandes et elles peuvent bien rejeter dans les prochains jours les Alliés à la mer.

Une plage d’Omaha l’après-midi du 6 juin

Une plage d’Omaha l’après-midi du 6 juin. De nombreux obstacles encombrent la plage (US Navy – Wikimedia)

À lire

  • Olivier Wieviorka, Histoire du débarquement de Normandie. Des origines à la libération de Paris, Éditions du Seuil, 2007
  • Cornelius Ryan, Le Jour le plus long, Robert Laffont, 2004 (1e édition en 1960). Ce titre fait référence à une affirmation du feld-maréchal Erwin Rommel, à son aide de camp : « Croyez-moi, Lang, les premières vingt-quatre heures de l’invasion seront décisives… Le sort de l’Allemagne en dépendra…. Pour les Alliés, comme pour nous, ce sera le plus long jour ». Des paroles prophétiques puisque 50 jours plus tard, le débarquement se produisait et l’armée allemande ne cessa dès lors de reculer.

Deux films de référence

  • Le Jour le plus long, film réalisé par Ken Annakin, Andrew Marton, Bernhard Wicki, sorti en 1962, avec John Wayne et Richard Burton. Ce long-métrage, vraiment long (3h) s’inspire du livre de Cornelius Ryan.
  • Il faut sauver le soldat Ryan, film réalisé par Steven Spielberg, sorti en 1998, avec Tom Hanks. Les premières minutes montrent l’assaut meurtrier sur Omaha.

Laurent Ridel

Historien de formation, je vis en Normandie. Ma passion : dévorer des livres et des articles d'historiens qualifiés puis cuisiner leurs informations pour vous servir des pages d'histoire, digestes et savoureuses. Si vous êtes passionnés de patrimoine médiéval, je vous invite vers mon second blog : Décoder les églises et les châteaux forts

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3 Responses

  1. LACOUR Annie dit :

    Toutes mes félicitations, Laurent, pour ces commentaires très détaillés de ces faits historiques à la fois si proches et si éloignés de nous……
    Mais le respect, le souvenir sont imprimés dans notre mémoire à jamais.

    Je conseille fortement aux plus jeunes de se documenter, de lire les nombreux ouvrages parus sur le D Day. Nous avons d’excellents extraits qui passent actuellement sur les écrans tv. Ces documents proviennent de l’INA, donc sont fiables.

    Gros travail de recherche et d’analyse.

    Bravo.

    • Laurent Ridel dit :

      Merci Annie. Difficile en cette période du 70e anniversaire que les plus jeunes passent à côté des articles, livres, reportages, visites en rapport avec le Jour J ou la bataille de Normandie.

  2. Emsi dit :

    Très intéressant résumer, or ce n’était justement pas facile de résumer une telle période en si peu de lignes ! On doit tellement à toux ces jeunes et moins jeunes garçons et filles, soldats, infirmières, pipers (sonneurs écossais) médecins (certains d’une bravoure incroyable, qui a fait l’admiration des soldats eux-mêmes, plutôt enclins dans un premier temps à se moquer – gentiment mais à se moquer quand même – de ces hommes sans arme). Merci Laurent.

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